Les objets ont-ils une âme ? Est-ce qu’il émane une magie des objets ? Est-ce que les objets nous parlent ? Est-ce qu’on les manipule ou bien est-ce que ce sont eux qui nous manipulent ? 

Mais encore : que se passe t-il si d’aventure un matin dix Navigators entreprennent inopinément de se livrer ensemble à une excursion à travers leurs appartements respectifs, armés de caméras, appareils photo, dictaphones, crayons et bloc-notes ; passant un quart d’heure dans chacun des domiciles, sans échanger un mot, laissant juste leurs regards vagabonder comme dans un musée, et fixant au moyen d’images et de vidéos ces natures mortes que chacun d’entre eux a laissé le matin même avant de partir ? 

Et que se passe t-il si ensuite on convoque ces images à intervalles réguliers au cours des semaines qui suivent ? Si on les laisse nous conter leur histoire ? Si on leur offre l’opportunité d’étendre leur propre cosmos au sein de l’univers théâtral ?

Est-ce que vous portez avec vous un objet de prédilection ? Comment un objet peut-il interférer dans la biographie d’un être humain ? A partir de quel point notre respect pour les objets devient-il si grand que nous n’osons plus les modifier ? Quels sont les objets qui m’accompagnent ma vie durant ?

„Peu nombreux sont ceux qui s’attachent à la vérité que recèlent les choses“ Anselm von Canterbury

LES ÂMES DANSANTES DES CHOSES

Avec « Lilli à Putgarden », non seulement la trilogie « Menschenbilder » est magnifiquement conclue, mais enfin justice est rendue à ces objets qui ont toujours joué un rôle essentiel dans le travail de Nico et les Navigateurs. Bien qu’auparavant ils aient eu un rôle subalterne, maintenant ils sont placés au centre : L’œuvre la plus dansante de la troupe jusqu’à présent, qui intègre également la vidéo, plonge profondément dans l’essence de ces choses, les poussant à leurs limites, leur offrant un espace et réalisant pleinement leur potentiel. Celui qui assiste à cette production légèrement ludique dans son élégance simple couleur crème pourrait vraiment croire que les dispositifs pneumatiques possèdent l’âme que leur nom suggère. Il comprendrait comment un sèche-cheveux et un sac à main peuvent interagir de manière obscène ou comment un aspirateur à main peut conduire à une danse érotiquement chargée – et comment une veste peut provoquer un porte-valet comme si c’était un chiffon rouge. « Lilli à Putgarden » traite de la dévalorisation des objets à l’ère de la production de masse, expose les promesses du monde coloré des marchandises, l’insouciance de la société jetable, et le vieil adage « l’habit fait le moine ». En même temps, l’ensemble recherche les objets favoris, ceux auxquels nous attachons nos cœurs et que nous remplissons de souvenirs. Et conformément à la « Journée de la Tasse Mondiale » proclamée dans la pièce, ces récipients servent de leitmotiv à la production, où l’on peut également apprendre que des mitaines en apparence identiques peuvent révéler leur origine de périodes très différentes à un vrai connaisseur – ou qu’une robe sur une corde n’a pas besoin d’un corps pour danser. « Lilli à Putgarden » présente l’ensemble dans sa formation initiale à l’apogée de leur art, comme un groupe cohérent d’individualistes.

Deux ans après sa première, Nico et les Navigateurs présentent à nouveau la pièce aux Sophiensælen, cette fois en triptyque avec les deux premières productions « Menschenbilder », « Lucky days, Fremder! » et « Eggs on Earth ». Cette rétrospective unique fait également sensation en France.

ANDREAS HILLGER