Un concert des corps: avec leur version mise en scène de la Petite Messe solennelle de Gioachino Rossini, Nico and the Navigators nous entraînent dans l’univers d’un croyant sceptique.
Petite messe solennelle
Musique sacrée ou sacrée musique?
La Petite messe solennelle de Rossini mise en scène
C’est au „Bon Dieu“ que Rossini dédie sa Petite messe solennelle lors de la composition en 1863. La compagnie berlinoise Nico and the Navigators livre aujourd’hui de cette œuvre une interprétation toute personnelle, et se propose d’emmener les spectateurs dans l’univers de Rossini, croyant agnostique, animé d’une tendre ferveur mais aussi doté d’un humour décapant.
Musique sacrée ou bien sacrée musique ? Rossini lui-même s’est autorisé ce jeu de mots à propos de cette Messe si atypique dans son oeuvre, et dans une dédicace en forme d’excuse adressée au Bon Dieu, il souligne qu’il était né pour l’opéra-bouffe : « Peu de science, un peu de coeur, tout est là. Sois donc béni et accorde-moi le paradis. »
Rossini est déjà le quatrième compositeur après Schubert (pour Wo Du nicht bist, 2006), Haendel (Anaesthesia, 2009) et Bach (Cantatatanz, 2011) qui donne aux Navigators matière à poursuivre leurs recherches esthétiques et poétiques, et déployer ce langage si caractéristique, tantôt burlesque tantôt tragi-comique, et qui mêle étroitement théâtre, pantomime, danse et musique.
Ce qui est nouveau en l’occurrence, c’est la rencontre avec le chœur placé sous la direction de Nicholas Jenkins. Un chœur réduit selon la volonté même du compositeur à 12 chanteurs – un chiffre qui ne manque pas évidemment de faire songer au nombre des apôtres qui accompagnaient Jésus. Ce que souligne d’ailleurs Rossini lui-même, dans ce savoureux commentaire, typique de ce grand gourmet devant l’éternel :
« Bon Dieu, pardonne-moi le rapprochement suivant : Douze aussi sont les apôtres dans le célèbre coup de mâchoire peint à fresque par Léonard, dit la Cène, qui le croirait. Il y a parmi tes disciples de ceux qui prennent des fausses notes !! Seigneur, rassure-toi, j’affirme qu’il n’y aura pas de Judas à mon déjeuner et que les miens chanteront juste et Con Amore tes louanges et cette petite composition qui est Hélas le dernier péché mortel de ma vieillesse” «
Comme pour toutes leurs pièces, Nico and the Navigators ont puisé leur inspiration d’une part dans des éléments historiques et biographiques contextuels à l’œuvre, mais aussi en interrogeant leur propre perception de la musique, au fil d’un processus de recherche et de répétitions empreint d’une grande liberté, ponctué d’essais et d’improvisations se nourrissant de la personnalité de chacun des membres de la troupe, venus d’horizons artistiques et géographiques les plus divers.
Spectacle singulier, finement réglé et d’une intelligence remarquable…
Spectacle singulier, dérangeant pour certains à coup sûr, mais d’une intelligence remarquable que la Petite Messe solennelle de Rossini que l’on a pu découvrir dans le cadre du « festival » en contrepoint de La Muette de Portici. Ces séries de l’Opéra Comique (les ex-“Rumeurs“) sont souvent riches en bonnes surprises : avec ce Rossini, réinventé par la compagnie berlinoise Nico and the Navigators (1) et son metteur en scène attitré Nicola Hümpel, on aura même dépassé en intérêt le spectacle principal. En tournée européenne après sa création à la Kunstfest de Weimar en septembre dernier, la Petite Messe faisait étape pour deux soirées seulement à Paris. Les décors réussis d’Oliver Proske sont un peu à l’étroit à Favart. Qu’importe : la cohérence de l’entreprise a vite raison de cette réserve. Un très étrange et fassbinderien personnage encapuchonné et à lunettes noires, un autre prénommé Benoît – tiens, tiens… -, symbolisent la confrontation entre foi et raison dans la lecture que propose Hümpel d’une partition à laquelle il s’est permis d’ajouter quelques dialogues qui, sous des apparences anodines, ne cèdent rien au bavardage (anglais et allemand alternent ; quelques mots ou expressions en français ici ou là). La vision de Hümpel n’est guère complaisante avec les rituels de l’Eglise (le mystère de l’Eucharistie tourné en dérision), mais rien ici d’une entreprise visant à « choquer le bourgeois » de manière gratuite. Le metteur en scène connaît son Nouveau Testament sur le bout des doigts et s’en inspire constamment pour s’approprier l’ouvrage de Rossini et bâtir un spectacle d’une fluidité étonnante qu’il est difficile de décrire. Mentionnons seulement ces deux éléments incurvés du décor, utilisés pour suggérer de façon assez bouffonne la marche de Jésus sur les eaux, qui, juste après, se dressent et s’assemblent pour évoquer l’épisode de la porte étroite - allusion qui prend l’impertinent aspect d’un passage sous un portique détecteur de métaux. Au terme de l’oeuvre, tandis que commence l’Agnus Dei, on découvre la plupart des chanteurs-comédiens allongés sur la scène, les yeux tournés vers le ciel, tantôt bras grand ouverts et implorants, tantôt poing vindicativement tendu : l’image pourrait résumer l’esprit de cette Petite Messe solennelle entre foi et scepticisme, et matérialisme. Mêlés aux quatre acteurs et danseurs, les douze chanteurs (parmi lesquels Laura Mitchell, Ulrike Mayer, Milos Bulajic et Nikolay Borchev pour les parties solistes) se révèlent, sur le plan musical, à la hauteur de l’enjeu. D’aucuns ergoteront sans doute sur tel ou tel détail ; il est plus important de saluer la manière dont chacun s’intègre à la démarche de Hümpel, tout comme savent le faire les excellents David Zobel et SooJin Anjou (piano), Jan Gerdes (harmonium) ou le chef Nicholas Jenkins, tous transformés en protagonistes d’un spectacle finement réglé.
„Après deux pièces dédiées l’une à Schubert, l’autre à Haendel, c’est à une Messe de Rossini que la compagnie s’attaque cette fois-ci. Une partition tardive du Maestro, que celui-ci a écrite 34 ans après avoir composé son dernier opéra, une oeuvre où raffinement et ferveur musicale s’entremêlent avec nonchalance mais non sans clins d’oeil au détour des mélodies les plus simples, distillées par les deux pianos. Sur cette base Nico and the Navigators érigent une sorte de théologie théâtrale : scènes de disputes imagées autour de la foi, de l’hérésie, des superstitions, autour du doute et des angoisses existentiels, des interrogations liées à la religion, aux rituels, à l’humanisme, aux aspirations et aux tourments de l’âme dans l’utopie chrétienne – humour compris…“
...Après deux pièces dédiées l'une à Schubert, l'autre à Haendel, c'est à une Messe de Rossini que la compagnie s'attaque cette fois-ci. Une partition tardive du Maestro, que celui-ci a écrite 34 ans après avoir composé son dernier opéra, une oeuvre où raffinement et ferveur musicale s'entremêlent avec nonchalance mais non sans clins d'oeil au détour des mélodies les plus simples, distillées par les deux pianos. Sur cette base Nico and the Navigators érigent une sorte de théologie théâtrale : scènes de disputes imagées autour de la foi, de l'hérésie, des superstitions, autour du doute et des angoisses existentiels, des interrogations liées à la religion, aux rituels, à l'humanisme, aux aspirations et aux tourments de l'âme dans l'utopie chrétienne - humour compris...
…Une philosophie en mouvement, une danse sur les surfaces de projection de l’agnosticisme, une fantaisie de la confusion au timing parfait – la marque de fabrique de Nico and the Navigators, du grand art…
Nico and the Navigators éblouissent avec la „Petite Messe“ Sauf erreur, le théâtre musical c’est à l’origine ce qui a permis d’insuffler un vent frais à ce bon vieil opéra, à lui redonner de l’élan. Et tournez manèges, à chaque nouveau tour, des images neuves, à chaque génération sa propre profondeur de champ. Nico and the Navigators, tel est le nom de la troupe berlinoise qui avec son cocktail combinant chant, théâtre, danse, burlesque et tragi-comédie parvient même à mettre en branle, en théâtre et en musique, le rituel de la liturgie catholique romaine. Durant près de deux heures sans pause, chacun des membres de la compagnie « navigue » sur la « Petite Messe solennelle » de Gioachino Rossini avec toute la force expressive du langage du corps, pour produire ce qu’ils ont eux-mêmes baptisé un oratorio visuel, créé au Théâtre d’Erfurt dans le cadre du Kunstfest Weimar. Nicola Hümpel et Oliver Proske, tous deux la quarantaine, sont les fondateurs de ce collectif de « poètes physiques», qui a débuté ses recherches esthétiques voici treize ans, d’abord à l’école du Bauhaus de Dessau, puis aux Sophiensaele à Berlin où ils obtiendront leur première reconnaissance internationale, avec le cycle « Menschenbilder » (Images humaines). Et après « Wo Du nicht bist » (Là où tu n’es pas) un spectacle sur la musique de Schubert, et le pasticcio autour de Haendel « Anaesthesia », les voici donc à l’œuvre autour de cette Messe, une partition tardive de Rossini, à laquelle le compositeur s’est frotté 34 ans après avoir signé son dernier opéra. Le maître de l’opéra-bouffe, à bout de souffle sur ses vieux jours, a dédié cette œuvre au Bon Dieu, auquel il s’adresse non sans humour: « Tu le sais bien ! Peu de science, un peu de cœur, tout est là. Sois donc béni et accorde-moi le paradis. » A l’instar de cette supplique, la mise en scène est assaisonnée d’une bonne pincée d’ambivalence: la musique de Rossini mêle avec nonchalance des airs empreints de ferveur et des clins d’œil au détour des phrases musicales les plus simples. C’est sur cette base que Nico and the Navigators affirment une sorte de théologie théâtrale, et déploient par étapes une controverse imagée autour des thèmes liés à la religion, aux rituels, à l’humanité, au désir, aux tourments de l’âme dans l’utopie chrétienne - entre foi, superstition et hérésie, entre scepticisme et tiraillements face aux commandements, humour compris. Mais ces « déclarations de foi » du XXIè siècle » ne prétendent en rien apporter des réponses, simplement soulever des questions, au fil d’une musique qui s’écoule avec douceur, en suivant les stations de cette Messe pour solistes, chœur et instruments. Ce que la mise en scène de Nicola Hümpel nous donne à voir dans la scénographie d’éléments mobiles conçue par Oliver Proske, c’est un rondeau d’êtres humains à première vue ordinaires, une succession d’images et de sketches tantôt composés avec art, tantôt nettement plus trash. Jamais de redondances avec les textes de la Messe, du 'Kyrie Eleison“ jusqu’à l’'Agnus Dei', qu’ils ne cherchent en aucune façon à actualiser, mais au contraire, en les effilant, ils suggèrent de nouvelles associations d’idées, ou proposent des contrepoints. Tout est affaire de mouvement : les quatre solistes tout comme les chanteurs du chœur sont constamment mobiles. Il en va de même pour les instruments : deux pianos (SooJin Anjou, David Zobel) et un harmonium (Jan Gerdes), qui vont et viennent sur la scène. Rien n’est stable, c’est un flux permanent et même le vif chef d’orchestre britannique Nicholas Jenkins change de position et se laisse à plusieurs reprises entraîner dans « l’action ». La méthode de Nico and the Navigators repose sur un jeu qui se nourrit de longues séances de recherches et de workshops pour ensuite s’élaborer au cours d’un travail d’improvisations. Pour cette production les chanteurs ont été aussi sélectionnés sur leurs qualités d’acteurs – la voix et la présence sur le plateau tout comme leur personnalité sont pris en considération à parts égales. Tout commence avec une entrée en matière légère et prosaïque, avant même que les deux pianos ne coulissent sur scène et que les chanteurs du chœur ne viennent la peupler comme par accident : régulièrement viennent ainsi s’immiscer entre les différentes parties de la Messe de Rossini des passages dialogués, habités par quatre comédiens et pantomimes qui incarnent pour ainsi dire des situations vécues, en relation avec la foi : l’un que l’on pourrait identifier à une sorte de prêtre, de psychiatre ou de chaman, par ailleurs un rationaliste ou scientifique, et puis un mafioso sans scrupules, et une figure séraphique tout en rouge, la danseuse virtuose et merveilleusement virevoltante, Yui Kawaguchi. A eux quatre, ils enchaînent les allégories, des tourments de l’existence jusqu’à l’équivoque que fait naître l’abîme des sentiments. Ce qui rend le spectacle si captivant, si riche et si divertissant, c’est la légèreté chorégraphique de cette kyrielle d’images énigmatiques, leur humour étincelant et de haut vol, où le burlesque le dispute à l’absurde. Et c’est la musique de Rossini elle-même, d’une élégance pleine de fantaisie sous ses dehors ingénus, qui vient rythmer cette bouleversante et incessante quête de sens : elle semble couler de source et forme la clé de voûte de cette ronde d’images. Une philosophie en mouvement, une danse sur les surfaces de projection de l’agnosticisme, une fantaisie de la confusion au timing parfait – la marque de fabrique de Nico and the Navigators, du grand art. Pendant l’Agnus Dei, la soliste tire l’un des acteurs par la manche jusqu’à ce qu’il paraisse dénué de toute volonté. Les protagonistes se contorsionnent à un rythme effréné et plongent au sol, deux danseurs s’unissent en un pas-de-deux pugnace. L’ultime « Amen » du Credo est repris en boucle par l’une des chanteuses de façon totalement exaspérante jusqu’à ce que quelqu’un s’empresse de la faire taire à coups de billets de banque. Une ovation aux saluts. Cette navigation autour de Rossini aborde le Radialsystem à Berlin cet automne, puis l’année prochaine en France, en Autriche et au Luxembourg.
« Soutenus par les excellents pianistes David Zobel, Alevtina Sagitullina et Jan Gerdes à l’harmonium, nous entendons une ‘Petite Messe solonnelle’ magnifiquement chantée par tous les participants. Dans le cas de l’exceptionnelle soprano solo Rebecca Gerdes, même à un niveau de classe mondiale absolue … La mezzo-soprano croate Kora Pavelić, le ténor d’origine serbe Miloš Bulajić et le baryton biélorusse Nikolay Borchev sont également convaincants non seulement sur le plan vocal dans cette délicieuse farce sur l’ambivalence des sentiments humains. Ils examinent tous la vie des dodus pour une approche possible de la foi, du doute et de l’ironie humoristique. Rossini schau oba ! Ils ont compris votre masse grandiose entre véracité et aberration du goût, spiritualité lucide et tonalité pompeuse d’opéra. Accompagnés d’un petit chœur typé, les interprètes Yui Kawaguchi, Martin Clausen, Charles Adrian Gillot et Patric Schott suivent le chemin de la musique au plus profond de leur âme. Tantôt le paradis et l’enfer, tantôt la culpabilité et la mauvaise conscience, ils pantomisent la diversité stylistique de la musique d’église, jouée pour la première fois en 1864 dans la chapelle privée du noble parisien Comte Michel-Frédéric Pillet-Will, avec un canon de mouvement sophistiqué. »
"Tu as vu le pape, Benoît ? Oui. Le pape t'a vu ? ..." Le Radialsystem Berlin à Friedrichshain a réintroduit la traduction scénique de l'œuvre tardive de Rossini, "Petite Messe solonnelle", en coproduction avec le Kunstfest Weimar et "Nico and the Navigators". Dans le hall d'une station de pompage d'eaux usées historique de Berlin, dans le style du gothique en briques du Mark Brandenburg, l'équipe autour du metteur en scène Nicola Hümpel (scène Oliver Proske, costumes Frauke Ritter) a hissé une sorte de half-pipe sur la scène autrement vide. Dans ce film, une bande de citadins agités se balade à la recherche de leur dieu, motivés, compulsifs, racontant n'importe quoi, manœuvrant eux-mêmes avec leur conditionnalité adolescente dans le chaos entre les roses blanches et les touffes d'argent. Mais ce que les jeunes peuvent vraiment faire et ce qui les rapproche de la réalité, c'est de faire de la musique. Soutenus par les excellents pianistes David Zobel, Alevtina Sagitullina et Jan Gerdes à l'harmonium, nous entendons une "Petite Messe solonnelle" magnifiquement chantée par tous les participants. Dans le cas de l'exceptionnelle soprano solo Rebecca Gerdes, même à un niveau de classe mondiale absolue. La façon dont cette artiste, dans sa robe bleue chatoyante, roucoulait délicatement des ornements, plaçait des acuti comme des colonnes dans la pièce, expérimentait des rythmes et des mots, projetait son noble instrument parfaitement assis et cristallin dans cette action chantante comme des étoiles de lumière dans la pièce, était mouvementée. Mais la mezzo-soprano croate Kora Pavelić, le ténor d'origine serbe Miloš Bulajić et le baryton russe blanc Nikolay Borchev sont également convaincants, et pas seulement vocalement, dans cette délicieuse farce sur l'ambivalence des sentiments humains. Ils examinent tous la vie des dodus pour une approche possible de la foi, du doute et de l'ironie humoristique. Rossini schau oba ! Ils ont compris votre masse grandiose entre véracité et aberration du goût, spiritualité lucide et tonalité pompeuse d'opéra. Accompagnés d'un petit chœur typé, les interprètes Yui Kawaguchi, Martin Clausen, Charles Adrian Gillot et Patric Schott suivent le chemin de la musique au plus profond de leur âme. Tantôt le paradis et l'enfer, tantôt la culpabilité et la mauvaise conscience, ils pantomètrent la diversité stylistique de la musique d'église, qui fut créée en 1864 dans la chapelle privée du noble parisien Comte Michel-Frédéric Pillet-Will. Cependant, il y a trop de paroles dans la production. Le gourou anglophone, vêtu d'une robe brune de moine et de lunettes de soleil orange, veut donner des conseils "intelligents" au chercheur de vérité prétentieux en costume crème et col roulé, mais échoue lamentablement dans la scène la plus poétique de la pièce. Les deux jeunes gens détachent des marches courbes d'une pyramide assise et effectuent des acrobaties en se balançant. Ici, l'élève s'avère être le maître. La musique, sous la direction experte du chef d'orchestre Nicholas Jenkins, qui se promène également sur la scène, est si forte et pesante (et surpasse en effet tous les enregistrements sur CD que je connais) que la confusion scénique provoque souvent le rire, mais parfois, dans les passages purement dialogués, elle ne va pas au-delà du burlesque bien intentionné. Le public n'a même pas besoin d'essayer de classer l'agitation hippie sur scène dans des chaînes d'association logiques. Il fait son travail, mais néglige finalement le côté spirituel, le côté délicatement lyrique-poétique. Je me suis souvent demandé quelles images théâtrales Ariane Mnouchkine aurait distillées de la musique de Rossini, solidement affirmée et pourtant angélique. Néanmoins, la soirée s'est avérée stimulante, divertissante et typiquement berlinoise. Le vieux principe philosophique "Prima la musica e poi le parole" n'a en tout cas pas été mis à mal par cette production. Vive le maestro de l'opéra comique, le gourmet, le préretraité, le farceur et le farceur dans toutes les allées Rossini !
„La foi de Rossini se reflète dans le choeur admirablement chorégraphié et les sections les plus ardentes de la liturgie (Kyrie, Gloria, Credo et O salutaris hostia), accompagnées par deux pianos et un harmonium, dirigées avec ferveur par Nicholas Jenkins. Tout cela est effronté, mais surtout: physique… »
...La foi de Rossini se reflète dans le choeur admirablement chorégraphié et les sections les plus ardentes de la liturgie (Kyrie, Gloria, Credo et O salutaris hostia), accompagnées par deux pianos et un harmonium, dirigées avec ferveur par Nicholas Jenkins. Tout cela est effronté, mais surtout : physique. Rien n'est plus insaisissable que le Diable, incarné avec une incroyable agilité par la sylphide Yui Kawaguchi. Et - ô surprise - le contre-ténor lui donne la réplique avec tant de bravoure que le tout semble béni des dieux, du Tout-Puissant mais aussi des dieux de l'opéra. Pour Nicola Hümpel - tout comme pour Sasha Waltz ou pour Heike Henning, il n'existe nul loi qui interdise de danser sur un oratorio. Le corps, si souvent dénié par les Eglises, et pour Rossini objet d'épreuves jusqu'à la dépression, se retrouve ici à la fête pour mieux envoyer au diable la défiance de l'âme (la voix) à l’égard du corps. Au diable, c'est à dire à la danse...
„Ce théâtre visuel dansé et chanté n’est pas simplement divertissant et drôle, il est aussi émaillé de clins d’oeils pleins d’auto-ironie sur notre époque…“
... Ce théâtre visuel dansé et chanté n’est pas simplement divertissant et drôle, il est aussi émaillé de clins d’oeils pleins d’auto-ironie sur notre époque. Installés sur des socles mobiles et parties intégrantes de l’action sur le plateau, deux pianos et un harmonium assurent la partie musicale. Quant aux seize merveilleux chanteurs-danseurs-acteurs, une joyeuse bande endiablée et aux multiples talents, il assurent tout le reste. Sans oublier le chef d’orchestre Nicholas Jenkins lui aussi au coeur de l’action... la musique de Rossini offre à la troupe un espace de jeu qui lui permet de célébrer le pouvoir de la musique et de danse. Avec un plaisir si évident que c’en est contagieux.
„ce qui sous-tend tout le spectacle, c’est un scepticisme caustique, tantôt plus appuyé, tantôt plus léger, à l’égard de nos rituels et de la sincérité de nos démonstrations de foi… »
A l’instar des protagonistes, les pianos sont mobiles et se déplacent autour d’une sorte de banque d’accueil. Celle-ci se transforme tour à tour en balançoire ou bien en escalier pour une photo de groupe à l’occasion du „Amen, jusqu’à devenir un „argument“ supplémentaire lors d’une dispute. C’est là le propre de ce collage visuel toujours dynamique et empreint d’ironie. Mais ce qui sous-tend tout le spectacle, c’est un scepticisme caustique, tantôt plus appuyé, tantôt plus léger, à l’égard de nos rituels et de la sincérité de nos démonstrations de foi.
« Les allusions amères rencontrent le ridicule, le slapstick rencontre Freud, la parodie d’opéra rencontre la satire sociale. On ne parle pas seulement de la relation de l’homme avec un être supérieur comme Dieu, mais aussi de celle entre les habitants de la Terre. Ce qui est émouvant, ce sont justement des scènes comme un pas-de-deux presque classique ou des ensembles presque chorégraphiés, ces moments où la musique et l’action se fondent presque entièrement l’une dans l’autre… ».
...L’action est à la fois abstraite et concrète. Autour de la ligne directrice donnée par Rossini se déroulent une succession de scènes, qui toutes jouent sur des associations d’idées pour mieux explorer les contradictions entre formes sacrées et postures burlesques plus proches de l’opéra. C’est donc une diversité des styles qui prévaut. Les costumes bigarrés de Frauke Ritter renforcent l’aspect contemporain, mais demeurent abstraits. Les allusions caustiques le disputent à l’irrespect, le cocasse à la jubilation, les parodies d’opéra au – non pas au blasphème, qui est toujours évité d’un cheveu, mais à la satire sociale. Car il n’est pas juste question de la relation des hommes à une entité supérieure comme Dieu, mais aussi de la relation des hommes entre eux. Et ce sont là précisément les scènes les plus émouvantes, tel un quasi pas-de-deux ou un mouvement d’ensemble presque chorégraphié, qui constituent autant de moments où la musique et l’action se rejoignent pour se fondre presque totalement l’un dans l’autre. Tantôt profondément touchant, tantôt irrésistiblement drôle….
» de l’instrumentation inhabituelle de cette Messe pour harmonium (Jan Gerdes) et deux pianos (SooJin Anjou, David Zobel) Nicholas Jenkins a su tirer parti pour imprimer à ce „péché de vieillesse“ de Rossini un rythme, une fougue et un allant d’une grande sensibilité d’expression… »
... un coup de génie, c’est assurément le décor de Oliver Proske, dont Nicola Hümpel emploie avec art les éléments multifonctionnels pour générer des images sans cesse en mouvement. ... de l’instrumentation inhabituelle de cette Messe pour harmonium (Jan Gerdes) et deux pianos (SooJin Anjou, David Zobel) Nicholas Jenkins a su tirer parti pour imprimer à ce „péché de vieillesse“ de Rossini un rythme, une fougue et un allant d’une grande sensibilité d’expression. Le choeur rayonne avec une belle homogénéité, alternant gracieux pianissimo dans les parties a cappella, et puissance vocale dans les passages plus allègres. Les choraux polyphoniques en particulier résonnent avec une limpidité aérienne. Le quatuor de solistes constitué de Laura Mitchell, Ulrike Mayer, Milos Bulajic et Nikolay Borchev brille également avec un magnifique équilibre et des voix tout en souplesse...
Une production de « pèlerinages » Kunstfest Weimar et NICO AND THE NAVIGATORS. Coproduction Grand Théâtre du Luxembourg, Bregenzer Festspiele, KunstFestSpiele Herrenhausen et Theater Erfurt. Avec le soutien du Hauptstadtkulturfonds, du Land de Berlin, de la Fondation Schering et de la Fondation Augstein. En coopération avec lʼOpéra-Comique Paris, lʼOpéra de Dijon et la Radialstiftung Berlin.
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